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J’aimerais parler de la dualité de mon corps et de ma tête au moment où je suis devenue mère. En une seconde, quand j'ai sorti ma fille, tiré son corps de l'intérieur du mien, yeux dans les yeux, je lui ai promis que je la protégerai contre les pires démons, que rien ne pourrait lui arriver puisque j'étais là. J’étais plongée dans la plus grande détente et confiante en la vie. Je reproduisais ce que mes ancêtres avaient vécu avant moi. Tout était naturel et beau. Et parfois une tristesse infinie m'envahissait. Pourquoi moi, pourquoi me sentais-je aussi seule ? Pourquoi ma moitié avec qui j'avais pris cette décision n'était pas dans le même état que moi ? Je me retrouvais mère, plus rien ne m'appartenait. Et tout le monde trouvait ça normal. Moi au milieu d'une foule, un bras pris d’un bébé, allaitant telle une vierge à l'enfant, muette et figée par cette réalité patriarcale qui m'étouffait. Je ne me suis jamais sentie aussi pleine et aussi vide de sentiments. Comme le lendemain d'une bonne fête. Remplie de joie, triste et vidée des abus de la veille.

Alice Chéné